Truffaut


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Parmi les grands cinéastes français, François Truffaut fut sans doute l'un de ceux qui a le plus écrit sur le cinéma : d'abord comme critique et polémiste dans les années 50, puis, après son passage è la mise en scène, comme essayiste, toujours prêt è préfacer les livres de ses amis ou è revenir sur ses cinéastes favoris.

Au début des années 80, il avait le projet d'un nouveau recueil d'articles, qui constituerait le prolongement de son livre "Les Films de ma vie", paru en 1975. Ce livre. "Le plaisir des yeux", devait réunir de nombreux articles recouvrant toutes les étapes de son cheminement : depuis ses articles parus dans _Arts_ et les _Cahiers du cinéma_, jusqu'è des textes plus récents qui sont le fruit de son expérience de cinéaste, de courts essais où il rendait hommage è des cinéastes (Renoir, Hitchcock, Welles, Chaplin), des écrivains (William Irish, Pierre-Henri Roché), et des comédiens avec qui il eut plaisir è travailler (Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Fanny Ardant, Jean-Pierre Léaud...).

Jean Narboni et Serge Toubiana ont réuni dans ce volume les principaux textes, qui reflètent l'intense activité d'écriture d'un véritable "moraliste de cinéma".


Fragments

_Roberto Rossellini, l'homme le plus intelligent que j'ai jamais connu_

Roberto Rossellini est, avec André Bazin, l'homme le plus intelligent que j'aie connu. Il comprend et assimile tellement vite tant de choses qu'on s'essouffle è le suivre. ...

Roberto m'a appris que le sujet d'un film passe avant l'originalité de son générique, qu'un bon scénario doit tenir en douze pages, qu'il faut filmer les enfants avec plus de respect que n'importe quoi, que la caméra n'a pas plus d'importance qu'une fourchette et qu'il faut pouvoir se dire avant chaque tournage : < Je fais ce film ou je crève.>

(Lettre è J.M. Barjol, 19 mai 1965)


_Vous êtes tous témoins dans ce procès: le cinéma français crève sous les fausses légendes_


Le cinéma est-il un art? Dans la plupart des cas, la conclusion se résume au mot oui. Il y a toujours l'exception qui confirme la règle et, dans ce cas, la conclusion est celle-ci : le cinéma n'est pas un art, car les films sont le résultat d'un travail collectif, le film est une `oeuvre d'équipe.

On pourrait déclarer tout net que, contrairement è ce qui est écrit dans toutes les histoires du cinéma, contrairement è ce qu'affirment les metteurs en scène eux-mêmes, un film n'est pas plus un travail d'équipe qu'un roman, qu'un poème, qu'une symphonie, qu'une peinture.


_1979, année de l'enfance assassinée_

Si l'on songe aux enfants, les années soixante-dix seront è marquer d'une pierre noire et l'Histoire ne pardonnera pas, j'espère, l'humour sinistre, qui aura décreté 1979, Année de l'enfance, alors qu'on compte par milliers les enfants morts de faim ou de mauvais traitements, en Afrique, en Asie et ailleurs. Pendant que les journalistes français s'interrogent gravement pour savoir ce que notre président de la République a bein pu faire de quatre ou cinq plaquettes de diamants, les vraies questions ne sont pas posées : 1) Quand le gouvernement français a-t-il appris qu'une centaine d'enfants avait été massacré è Bangui? 2) Qu'aurait-il fait (ou que n'aurait-il pas fait) si Amnesty International n'avait pas révélé l'affaire? 3) La France a-t-elle chassé Bokassa parce qu'il a tué ces enfants ou seulement parce qu'il s'est fait prendre?

J'imagine bien qu'on attend de moi un texte plus léger, plus spécifiquement orienté vers le cinéma et l'enfance, mais je ne suis pas disposé è oublier que tout se tient : n'y avait-il pas d'enfants parmi les deux cent cinquante spectateurs de cette salle de cinéma d'Iran dont on avait condamné les portes avant d'y mettre le feu au cours des premières manifestations, en 1978? Je ne rappelle évidemment pas cela pour défendre le régime du shah. Cinq années consécutives, je déclinais, comme tant d'autres certainement, l'honneur d'assister au Festival de Cinéma et l'enfance qui se déroulait è Téhéran, mais dire non tout le temps aux propositions douteuses, cela ne suffit pas è s'épargner les hontes : celle de ne pas protester plus vigoureusement chaque fois, celle de ne pouvoir rein empêcher, celle de se reconna`itre de la même espèce que les bourreaux et pourtant impuissant. Je n'ignore pas davantage que la France détient le lamentable record européen quant au nombre d'efants martyrisés, la loi réprimant la < non-assistance è personne en danger > n'étant jamais utilisée


Pour terminer, je ferai remarquer que la responsabilité du cinéaste est plus grande lorsqu'il filme des enfants, car le public ne peut s'empêcher de surimpressionner un sens symbolique è tout ce que fait un enfant. Lorsque nous regardons un enfant particulier faire quelque chose sur l'écran, nous sommes aussit`ot projetés en arrière, vers notre propre enfance et ce que fait cet enfant, il nous semble que l'enfance entière soit en train de le faire. C'est pourquoi je suis heurté lorsqu'un cinéaste croit pouvoir mêler un enfant è un meurtre, par exemple, ou è une intrigue policière. Un film avec des enfants peut se contenter de montrer des évènements simples, car le drame enfantin na`it dans la quotidienneté. Il faut surtout ne pas utiliser l'enfant comme un acteur è qui l'on donne un texte, mais comme un collaborateur auquel on demande d'apporter la vie, la plausibilité, la fantaisie.

Enfin, contrairement è ce que je lis parfois, ici ou lè, il ne s'agit pas de tourner avec des enfants pour mieux les comprendre, il s'agit de filmer des enfants parce qu'on les aime.

(_Bulletin de la Fédération internationale des ciné-clubs_, 1979)


Faire un film, c'est améliorer la vie, l'arranger è sa façon, c'est prolonger les jeux de l'enfance, construire un objet qui est è la fois un jouet inédit et un vase dans lequel on disposera, comme s'il s'agissait d'un bouquet de fleurs, les idées que l'on ressent actuellement ou de façon permanente. Notre meilleur film est peut-être celui dans lequel nous parvenons è exprimer, volontairement ou non, è la fois nos idées sur la vie et nos idées sur le cinéma.

Qu'espérons-nous quand nous tournons un film?

Je me solidarise complètement avec Jean Renoir lorqu'il déclare :<_Il s'agit en somme d'apporter sa petite contribution è l'art de son temps_.>


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